Évaluation du danger: importance de la pression de vapeur

par Fred Scaffidi, chimiste

Nombreuses sont les façons dont nous pouvons décrire les produits chimiques. Nos sens peuvent nous dire si un produit est solide, liquide, incolore ou coloré, inodore ou âcre. Bien souvent, cependant nous pouvons les mesurer à l'aide d'appareils simples: thermomètres, tubes capillaires et sources de chaleur pour mesurer le point de fusion; papier tournesol pour mesurer le pH; pompe à vide et appareil en verre pour déterminer la pression de vapeur.

Pression de vapeur

Lors de l'évaluation des risques, il est très important de connaître la pression de vapeur de la substance. La pression de vapeur est la pression à laquelle un liquide et sa vapeur sont en équilibre à une température donnée. Nous pouvons dire que la vapeur "pousse" contre l'atmosphère. Ainsi, plus la pression de vapeur d'un liquide est élevée, plus ce liquide s'évapore rapidement. Au point atmosphérique, on mesure la pression de vapeur en atmosphères (atm), en millimètres de mercure (mmHg) ou en kilopascals (kPa). Comme repère, la pression atmosphérique normale est de 1 atm (760 mm Hg ou 101,325 kPa).

Voici la pression de vapeur de certaines substances:

Produit Classe Pression de vapeur à 20°C
Dichlorométhane
(utilisé comme décapant)
6.1 0,46 atm
ether éthylique
(solvant industriel)
3.1 0,59 atm
éthylmercaptan
(ajouté au propane pour lui conférer une odeur)
3.1 0,57 atm
alcool méthylique
(liquide pour lave-vitres)
3.2, 6.1 0,13 atm
éthylène glycole
(utilisé comme antigel dans les voitures)
NR* 0,00006 atm
toluène
(utilisé dans l'essence pour avions)
3.2, 9.2 0,03 atm
eau NR* 0,02 atm

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*(NR - non réglementé)

Scénario de déversement

Examinons un scénario de déversement caractéristique et voyons ce que la pression de vapeur nous permet d'obtenir comme renseignments.

Le produit

Le dichlorométhane UN 1593, class 6.1.
Solvant organique; liquide transparent, qui dégage une odeur pénétrante d'éther.
Pression de vapeur: 0,46 atm.

Le déversement

Un déversement de dix litres de ce produit forme une petite mare d'une superficie d'environ 2 m2. (Note: La superficie est un facteur important, car, plus elle est grande, plus grande sera la quantité de produit qui s'échappera de la surface du liquide et plus court sera le temps d'évaporation. La vitesse d'évaporation augmente aussi avec la température.)

Conditions atmosphériques

Supposons un vent léger de 4 km/h et une température de 20°C.

On peut prévoir, d'après les données ci-dessus, que le dichlorométhane s'évaporera assez rapidement. D'ailleurs, c'est ce que l'on observe. La vitesse d'évaporation de ce produit est plusieurs fois plus élevée que celle de l'eau. En utilisant des techniques de modélisation par ordinateur, nous avons établi que, dans des conditions décrites ci-dessus, il faudrait 28 minutes pour que notre petite mare d'eau de 10 litres s'évapore. Dans le cas d'un déversement de 10 litres d'éthylmercaptan, un produit dégageant une odeur extrˆmement forte, l'évaporation prendrait 17 minutes. En raison de sa basse pression de vapeur, l'éthylène glycole prend un temps infini à s'évaporer: c'est ce qui lui vaut d'ˆtre un bon agent antigel.

Les vapeurs représentent les dangers les plus insidieux. L'inhalation constitue une voie de pénétration directe et pratiquement inobstruée dans l'organisme. On a mis beaucoup d'effort à établir des normes chimiques dans l'air.

L'American Conference of Governmental and Industrial Hygienists (ACGIH) ainsi que d'autres organismes s'intéressent beaucoup au type d'appareil respiratoire qu'il faudrait porter selon l'exposition. La TLV-TWA1 valeur représente la concentration d'une substance dans l'air à laquelle un travailleur peut ˆtre exposé 8 heures par jour à raison de 40 heures par semaine. La TLV est normalement donnée en parties par million (ppm) ou en mg/m3 d'air. La pression de vapeur est un facteur important lorsqu'on détermine la TLV.

Retournons à notre ordinateur: une personne se trouant à 10 mètres directement sous le vent par rapport à la petite mare de produit déversé serait exposée à environ 1000 ppm de dichlorométhane pendant les 28 minutes que met le liquide à s'évaporer, comme on peut le voir sur le graphique ci-après. Le vent et la température sont tels que le liquide dégage un courant continu de vapeurs de dichlorométhane. Cette personne est en danger puisque la TLV-TWA du dichlorométhane est de 100 ppm.

Les graphiques ci-dessous sont caractéristiques du type d'information que l'on peut maintenant obtenir par ordinateur et qui permet d'évaluer les risques encourus au cours de l'intervention à la suite d'un déversement.

 

Un graphique semblable pour un déversement de toluène montre qu'une personne se trouvant à 10 mètres sous le vent serait exposée à une concentration constante d'environ 27 ppm. Le toluène possède lui aussi une TLV-TWA de 100 ppm. Les vapeurs ne constitueraient pas un danger aussi important dans le cas du toluène. Aucune vapeur ne serait décelée par une personne se trouvant au vent par rapport au produit déversé.

 

Notons, en passant, que toute personne qui habite dans une grande ville est constamment exposée à 0,5 ppm de toluène (concentration de fond). Ce toluène provient surtout des émissions des véhicules automobiles!

TLV-TLWA* est généralement utilisé pour décrire des situations au cours desquelles il se produit une exposition à long terme ou chronique à une petite quantité de produit chimique. Cette valeur peut aussi ˆtre utilisée comme indicateur de risque au cours d'une urgence. Une exposition massive ou aiguë pendant un court laps de temps aux produits chimiques ayant une toxicité minime peut aussi représenter un risue grave pour le corps humain.

Dans le cas décrit dans l'article, une exposition à 1000 ppm de dichlorométhane pourrait représenter une expostions aiguë pouvant mener à un étouffement suivi de maux de tˆte et peut entrainer d'autres effets graves. Par contre, aucun effet n'a été constaté auprès des personnes exposées à une toxicité inférieure à 100 ppm pendant de nombreuses années.

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* Valeur limite d'exposition - moyenne pondérée dans le temps.

Bibliographie

  • Marchandises dangereuses, Guide de premières mesures d'urgence, édition de 1992, Groupe Communications Canada - Publications, Ottawa (Ontario). No de cat. T22-44/1992F
     
  • Règlement sur le transport des marchandises dangereuese, 1993, Liste II, Ministère des Approvisionnements et Services, Ottawa (Ontario) SOR 93/525
     
  • NPIRI Raw Materials Data Handbook, voluem 1, National Printing Ink Research Institute, 1974, Bethlehem, Pensylvanie.
     
  • Hawley's Condensed Chemical Dictionary, 11e édition, Sax and Lewis, publié par Van Nostrand Reinhold Company, New York, 1987, ISBN 0-442-28097-1
     
  • Modèle informatisé de localisation aérienne des atmosphères dangereuses, élaboré par la National Oceanic and Atmospheric Administration, Seattle, Washington. Ce logiciel fair partie d'un progiciel appelé CAMEO (Computer Aided Management of Emergency Operations - Gestion assistée par ordinateur des opérations d'urgence)
     
  • The MSDS Pocket Dictionary, publié par le Genium Publishing Company, Schenectady, New York, 1990, ISBN 0-931680-27-7
     
  • Guide pour les déversements de produits dangereux, publié par la Direction des services techniqus d'Environnement Canada, Ottawa (Ontario), 1984, ISBN 0-662-13186-X
     
  • Critères d'hygiène de l'environnement 52, Programme des Nations-Unies sur l'environnement, Organisation mondiale de la santé, Genève, 1985.

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Parution: Bulletin de nouvelles TMD, Vol. 14, No. 1, Printemps/été 1994.

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